Sista Sista

“Vous fermez trop tôt!” “Vous fermez déjà?” “Vous n’ouvrez qu’à 9h?” “Vous n’ouvrez pas le samedi?” Ni le dimanche?” “Mais on ne sait jamais venir!” Ça fait longtemps qu’il gronde l’épineux sujet de nos heures d’ouverture. Il est toujours là dans un coin de notre tête et il nous ronge de l’intérieur. Pas une semaine ne passe sans que l’on doive se justifier. Jusqu’ici on essayait de l’occulter, de l’assumer sans avoir à se confier. Sauf que ce dimanche matin, nous avons été réveillées par un avis Google de 2 étoiles sur 5. BAM ! Et on peut te dire que ça pique un peu quand tu ouvres péniblement les yeux après une semaine de travail sans relâche. Quand tu viens chez nous prendre ton petit cappu à 9h, on est déjà là depuis 7h tapantes. Et même parfois 6h. On repart généralement vers 18h quand tout va bien. Le tout sans pause. 7h-18h sans pause, tu fais déjà le calcul? Sur le chemin du retour, on fait des courses pour le lendemain parce qu’on a déjà plus de soupe, l’une fait la file à la boucherie pendant que l’autre passe va déposer le cash à la banque, on va vite mettre les bouteilles à la bulle à verres car ça déborde de partout. Et une fois chez nous, on s’attaque à la comptabilité, on gère les commandes à tous nos producteurs, les réservations de table, les inscriptions aux ateliers, on élabore les menus des brunchs, on te pond des petits visuels sympas pour te mettre l’eau à la bouche, on prépare des publications instagram pour que l'algorithme ne nous pénalise pas trop, on joue à tetris avec les tables pour te dire “oui tu peux venir bruncher à 10h30 comme tu l’as demandé”, on répond à toutes les demandes d’organisation d’ateliers, concerts, conférences,... on répond à la comptable, à l’assureur, au banquier, on va vite chez le kiné qui nous craque de partout. Et puis, on repasse vite une dernière commande, comment on a pu l’oublier!?! Et entre tout ça, on répond à tous les messages messenger, instagram et whatsapp qu’on a loupé. Et pour finir, on s’excuse auprès de tous les gens à qui on a pas répondu tout de suite car on a pas eu…. le temps. Oui mais vous êtes fermé le lundi! Oui oui, en théorie. Sauf que le lundi c’est le jour des rendez-vous, des courses… Et puis tu te doutes qu’il faut cuisiner pour ouvrir le mardi. Et puis ranger, nettoyer, décorer, ... Oui mais vous êtes fermé le samedi! Oui mais tu te doutes qu’il faut bien cuisiner pour que tu puisses venir bruncher le dimanche… Et les autres week-ends? Alors oui, les autres weekend, on a fait le choix de fermer notre café. Parce qu’on ne pourrait pas faire autrement. Parce qu’on ne veut pas faire autrement. Parce qu’on travaille déjà entre 50 et 70 heures par semaine. Parce que notre corps dirait non. Parce que mentalement, on est à notre max. Parce que physiquement, on est déjà au-delà de notre max. Parce que notre équilibre est aussi près de nos familles et de nos amis. Et que c’est auprès d’eux que l’on trouve la force de redémarrer la semaine avec le sourire. Oui mais vous pourriez engager ! Oui, mais non. Nous n’avons pas envie de devenir des responsables des ressources humaines et de s’éloigner de ce qui nous fait vibrer: te préparer à manger et voir ton sourire depuis notre comptoir. Elle est là notre réalité. On sait qu’on a pas choisi le secteur le plus facile ni le plus lucratif. Encore moins en faisant le choix de te servir des produits locaux et frais. Tous nos producteurs sont dans la même réalité: une course effrénée pour te proposer de la nourriture de qualité. Chaque note Google est une épreuve. On ne va pas te le cacher. Cette épée de Damoclès qui est juste là, et qui peut tomber au moindre faux pas. Mais chaque note négative injustifiée nous pénalise tous. Nous décourage tous. Du restaurateur au producteur. Et celle-ci nous laisse un goût vraiment amer.